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Publié le : 15/12/2018 09:10:29 - Catégories : Bébé dans l'Histoire
En 1786, Louise Élisabeth Vigée Le Brun réalise un autoportrait avec sa fille, exposé au Salon de 1787. Le tableau touche à ce point le public par la véracité des sentiments représentés qu’il est rapidement surnommé La Tendresse maternelle. Dans le sillage de ce succès et à la demande du comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments du Roi, l’artiste peint en 1789 une variante en costume grec tout aussi réputée.
Si ces deux portraits ont frappé en leur temps, c’est qu’ils cristallisent le changement qui s’opère alors dans les mentalités concernant la place de la mère et la conception de l’amour maternel.
Depuis le milieu du siècle s’observe un engouement global pour tout ce qui touche la « nature » : développement sans précédent des sciences naturelles, intérêt pour la vie des populations « sauvages » découvertes lors des voyages d’exploration du globe, questionnement des concepts de société et d’éducation par un philosophe comme Jean-Jacques Rousseau – dans l’Émile, ce dernier il place l’expérience sensible de l’enfant au cœur de sa réflexion. L’expressivité de sentiments que l’on s’évertuait jusqu’alors à cacher entre dans ce mouvement général. En société, en art comme en littérature, l’émotion, notamment sous sa forme larmoyante, occupe une place majeure.
Cette construction très culturelle de la nature a des conséquences sur la perception du sentiment maternel, désormais considéré comme « instinctif ». La mère et l’amour qui l’attache à son enfant sont glorifiés par la société, et l’on voit apparaître la valorisation de nouvelles pratiques « naturelles » comme l’allaitement, à rebours de celle, encore très courante, du placement en nourrice des enfants des familles aristocratiques et bourgeoises. Cette évolution atteint jusqu’au sommet de la société, puisque la reine elle-même, Marie-Antoinette, revendique en privé une proximité quotidienne avec ses enfants que l’étiquette de la cour contredisait en théorie.
« La tendresse naturelle, ce sentiment délicat, cette douce affection de l’âme, est rendue avec un art si admirable que le tableau peut être comparé à ce que les plus grands maîtres de l’école d’Italie ont produit de plus sublime. » Cette critique de L’Année littéraire, formulée à l’occasion de la présentation au public de La Tendresse maternelle, ne saurait viser plus juste. Admiratrice de Raphaël, Vigée Le Brun a en effet en tête les madones du génie de la Renaissance lorsqu’elle réalise cette œuvre. De fait, c’est dans la peinture religieuse, et plus précisément dans le thème codifié de la Madone à l’Enfant, que s’est jusqu’alors surtout exprimé, en art, le sentiment maternel. Les tableaux représentant mères et enfants existaient, bien sûr, mais jamais ne transparaissait l’effusion d’affection visible ici. Tel n’était d’ailleurs pas le but de ces œuvres officielles, destinées à présenter la mère comme la génitrice légitime d’une lignée, dans le cadre convenu de son rang social. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer cet autoportrait avec le portrait d’une autre mère que Vigée Le Brun réalise à la même époque : celui, officiel, de Marie-Antoinette entourée de sa fille et de ses deux fils. La reine trône, guindée, tandis que ses trois enfants l’entourent dans des poses apprêtées : l’œuvre célèbre avant tout sa fonction de mère de la famille royale.
Or les deux autoportraits de Vigée Le Brun avec sa fille, peints pour le plaisir dans un cadre privé, échappent justement aux conventions du portrait officiel. Les poses tendrement enlacées matérialisent le double sentiment d’amour et de protection de la mère pour l’enfant. Si la mise en scène transparaît dans le dialogue des regards noué avec le spectateur, rien ne semble cependant sonner faux. Cette impression de sincérité est d’autant plus vive que le cadre de la scène est volontairement dépouillé pour concentrer l’attention sur les deux personnages. Modèle récurrent des tableaux de sa mère, Julie est saisie au plus juste dans la spontanéité de ses gestes enfantins, retournée avec une impression de légère surprise dans le premier tableau, d’une impertinente gaité dans le second. La seule différence majeure entre les deux œuvres concerne les costumes : ceux, « à la grecque », du tableau de 1789 reflètent le goût du Néoclassicisme pour l’Antiquité, apparu à la suite des premières fouilles d’Herculanum et de Pompéi au milieu du siècle.
Vigée Le Brun réduit-elle dans ces deux œuvres son rôle à celui de mère ? L’argument serait d’autant plus recevable que la valorisation de la figure maternelle au XVIIIe siècle ne s’est pas accompagnée d’une émancipation en profondeur : la femme reste très largement cantonnée à la sphère privée. Or l’innocente simplicité de ces tableaux recèle une signification plus complexe qu’il n’y paraît. Coutumière de l’autoportrait, Vigée Le Brun avait déjà fait sensation en 1782, en se mettant en scène les pinceaux à la main. L’autoportrait est donc pour cette artiste une forme d’affirmation de soi.
Se représenter avec sa fille est une manière de revendiquer sa situation singulière, mais parfaitement assumée, dans une société encore peu réceptive à la libération féminine : le fait d’être à la fois une mère aimante et une femme peintre dont le succès lui permet de vivre de son art. Formée au métier par son père pastelliste, décédé alors qu’elle avait 12 ans, Vigée Le Brun avait pourvu très tôt à la subsistance de sa famille par la vente de ses tableaux. Dès sa jeunesse, elle fut donc l’une des rares femmes de son temps et de sa condition sociale bourgeoise à assumer l’exercice d’un métier traditionnellement réservé aux hommes.
Auteur : Emilie Formoso
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